vendredi 5 décembre 2014

Lettre au président du Comité de bassin : barrage de Sivens

COORDINATION EAU ADOUR GARONNE 
5/12/2014

à Monsieur Martin Malvy
Président du Comité de Bassin Adour Garonne
90 rue du Férétra, 31078 TLSE Cedex 4

Objet : Implication financière de l’Agence de l’Eau Adour Garonne, dans l’étude et la réalisation du projet de barrage de Sivens.

Copie : Directeur le l’Agence de l’Eau, Président du CA de l’Agence et Préfet de Bassin.

Monsieur le Président,

Le 26 novembre 2014, la Commission européenne a annoncé officiellement l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France concernant le projet contesté de barrage à Sivens, pour non-respect de la directive-cadre sur l’eau (DCE). Ainsi, il a fallu les circonstances dramatiques de la mort de Rémi Fraisse pour que les dysfonctionnements des différentes prises de décisions dans ce dossier soient mis en lumière.

Alors que l’agence de l’eau a pour mission la protection des ressources eau et des milieux aquatiques, elle a décidé d’accorder une aide financière de 50 % (soit plus de 4 M€) au projet de ce barrage. Pour servir l’irrigation d’une vingtaine d’exploitations agricoles, elle prend une décision contraire à l’intérêt général, entraînant la destruction d'une partie de la vallée du Testet et de treize hectares de zones humides. Avec cette aide, elle se met en totale contradiction avec le SDAGE, document qui s’impose pourtant à tous les aménagements hydrauliques du bassin Adour-Garonne.

Trois points cependant permettent de nuancer la question de la responsabilité de l’Agence :
  • elle ne fixe pas en totalité la répartition des différentes participations des usagers de l’eau à son budget, bien qu’elle ait une certaine marge d’autonomie sur le montant des redevances, (ce qui explique des différences notables entre les six agences de l’eau) ; 
  • la composition des collèges du comité de bassin et du conseil d'administration (CA), fixée par la loi, donne, en matière de gouvernance, une place prépondérante aux agriculteurs et une place homéopathique aux usagers domestiques qui sont pourtant, et de très loin, les principaux contributeurs de son budget (ils financent à plus de 80 % les programmes de l’Agence, contre 2 % par le monde agricole) ; 
  • elle n’est pas non plus responsable des conflits d’intérêt institutionnalisés et systématiques, dans la direction et la gestion de la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), qui réalise les études, lance les appels d’offre et y répond, construit les ouvrages et en assure la gestion et dont les administrateurs sont juges et parti. 
L’agence de l’eau est responsable, par contre, de ses choix en matière d’aides et de financement de divers travaux liés à l’eau et à la préservation de la ressource. Elle est de ce fait redevable vis-à-vis de ses contributeurs (les usagers de l’eau), de la pertinence et du bien fondé de ces choix.

Nous n'oublions pas que dans ce genre de dossier, le temps qui s’écoule entre la validation par le conseil d’administration de l’Agence et l’accord de financement est très long, (dix à quinze ans minimum) ; qu’entre temps les lois, les pratiques et les mentalités évoluent (prise en compte des zones humides par exemple). Par conséquent, les chiffres et préconisations de départ ne devraient jamais être suivis, sans une réévaluation de la réalité de terrain.

Dans le dossier de Sivens, c’est loin d’être le cas : pourquoi financer à 50 % un projet mal étudié, surdimensionné, trop onéreux (voir le rapport d’expertise remis récemment à Madame Ségolène Royal) qui va à l’encontre de la DCE et de la loi sur l’eau. Déjà en 2010 et 2012, les ingénieurs et techniciens de l’ONEMA avaient dénoncé l’insuffisance de l’étude d’impact, son incompatibilité avec la réglementation nationale et européenne, mais surtout avec la réalité de l’environnement du Tescou.

Ce rapport d’expertise commandité par le ministère de l’environnement, souligne que l’aide financière au projet par l'agence de l'eau ne repose pas sur un examen rigoureux du dossier : « L’inscription du projet dans le protocole « irrigation », sa conformité au PGE ont conduit à un examen superficiel du dossier lui-même. La vigueur du débat sur l’irrigation en Adour-Garonne a fait de la réalisation du barrage de Sivens un symbole qui dépasse les services instructeurs ».

Pourtant, Monsieur le Président, le « Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet » vous avait alerté sur les points litigieux dès le 24 octobre 2013, soit avant l’accord de financement par le CA réuni le 4 novembre 2013. Durant ce CA, un administrateur de Nature Midi-Pyrénées (association dont Rémi Fraisse était bénévole) avait formulé la même alerte. Il n’a malheureusement pas été entendu.
L’Agence ne pouvait pas ignorer non plus que le département du Tarn n’en était pas à son premier coup d’essai. L’exemple du barrage de Fourogue, sur le bassin de la Vère, aurait dû l’alerter. Dans ce dossier, le Conseil général et la CACG sont passés outre un arrêté préfectoral demandant la suspension du projet devenu illégal. Deux ans plus tard, celui-ci laisse un déficit chronique payé par la collectivité publique, c’est- à-dire par les contribuables : sur les 400 ha irrigués prévus par la CACG, seuls 280 le sont en 2011.

Par ailleurs, les retenues collinaires déjà présentes dans le bassin du Tescou sont largement sous-utilisées : sur une capacité totale de 4,3 Mm3, seul 1,1 Mm3 est actuellement utilisé, soit plus de 3 Mm3 potentiellement disponibles sur ce bassin. Cette solution, cohérente avec la disposition du SDAGE « Optimiser les réserves existantes », doit être étudiée parmi les pistes prioritaires.

L’actualité montre que le passage en force et le déni de démocratie ne peuvent plus être le mode de fonctionnement systématique de la gouvernance de l’eau et des milieux aquatiques de nos territoires.
En conséquence, nous demandons l’annulation de la décision de financement de ce projet, en attendant une remise à plat plus sereine de ce dossier.

Comme les experts du ministère, nous demandons aussi « le réexamen des dossiers de réserves d’eau susceptibles d’obtenir l’aide financière de l’agence de l’eau ».

En effet, l’étude prospective de l’Agence « Garonne 2050 », en partie renseignée par la CACG (logiciel Rio Manager, volet agricole…) n’est peut-être pas, compte tenu de tout ce qui précède, totalement objective. Et il n’est pas étonnant qu’un bureau d’étude, dont une des principales activités est de construire des barrages, propose dans la plupart des scénarios envisagés, la multiplication des retenues d’eau sur l’ensemble du bassin Adour-Garonne comme solution à de possibles sécheresses.
Là encore, le conflit d’intérêt (CACG : bureau d’étude, maître d’ouvrage, gestionnaire) n’est pas loin.

Cette étude, confirme les grandes règles de la gestion quantitative mais ne remet pas en cause la course poursuite, entre la construction de retenues financées sur fonds publics par les agences de l’eau, et les revendications sans limites des irrigants qui ne sont qu’une petite minorité d’agriculteurs.
Les grandes cultures irriguées, et notamment le maïs, représentent 80% des prélèvements et des consommations en été, prélèvements qui ne sont pas rendus aux milieux, contrairement aux autres prélèvements comme l’eau domestique, aggravant ainsi les phénomènes d’étiage.

Une étude de l’agence de l’eau Seine-Normandie montre que, sur ce territoire, « le préventif coûte 27 fois moins cher que le curatif ».

Pourtant, Garonne 2050 n’étudie et ne propose, aucune solution en amont du problème. Seules des solutions curatives sont envisagées. Elles permettent en effet, non seulement l’irrigation intensive peu compatible avec la réalité hydrographique du Bassin, mais aussi la dilution des pollutions agricoles. Ainsi, le Bassin Adour-Garonne espère atteindre le « bon état des eaux » rendu obligatoire par la Directive Cadre Européenne, dans les temps prévus par les diverses dérogations.
Nous demandons donc, que cette étude soit réexaminée de manière moins orientée et plus sérieuse.

Nous vous prions, monsieur le Président, d’accepter nos plus citoyennes et non moins respectueuses salutations.

Pour la Coordination Eau Adour-Garonne*, sa présidente : Anne Bouzinac


Pièce jointe : note de Ségolène Royal à Jean Louis Borloo, ministre de l’écologie, de novembre 2010.

_________________

* Association (Loi 1901) regroupant une trentaine d’associations de défense des usagers domestiques de l’eau-assainissement et de défense de l’environnement du Bassin Adour-Garonne :
  • département de Charente : Comité de défense des services publics de Cognac, Collectif Eau Barbezieux, 
  • département de Charente-Martitime : Eau Secours 17, Collectif Eau Publique La Rochelle, 
  • département de Dordogne : Transparence 24,
  • département de la Haute-Garonne : Eau Secours 31, Eau Secours-services publics-St Orens, Ginestous 2000, défense des usagers du Sivom de Saudrune, Saint-Orens-Nature- Environnement, CLCV Cugnaux, Attac Toulouse, Les Amis de la Terre Midi Pyrénées, 
  • département du Gers : Condom citoyenne, Association Baise des usagers de l’eau ABUE, Ende Doman, Tasque environnement, Collectif Adour Eau transparente, Eauch bien commun, Attac Gers, Amis de la Terre du Gers. 
  • département de Gironde : Trans’CUB, ADARESPA, Alterlib, Association Berges et Coteaux. 
  • département des Pyrénées-Atlantiques : Usagers Eau Nive Adour, Eau Secours 64, 
  • département du Tarn : Usagers de l’eau Castres, ABUE 81.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire