jeudi 30 octobre 2014

Lettre à Ségolène Royale : Retenues d'eau

COORDINATION –EAU-ADOUR-GARONNE
30/10/2014

à Madame Ségolène Royal
Ministre de l’écologie Du développement durable Et de l’énergie
Grande Arche tour Pascal A-B, 92055 La Défense CEDEX

Objet : Problèmes posés par les retenues d’eau, mis en lumière par la mort de Rémi Fraisse.

Madame la Ministre,

C’est dans des circonstances dramatiques et d’une extrême gravité, que nous vous demandons de mettre tout en œuvre, pour résoudre au plus vite les différents problèmes mis en lumière par la mort de Rémi Fraisse.

Nous ne voulons pas aborder ici la question des circonstances exactes de sa mort, mais bien celle du déficit démocratique dont souffre la gouvernance de l’eau et qui, localement, peut déboucher sur de tels drames.
Le déséquilibre des forces en présence au sein du collège des usagers à l’intérieur des Comités de Bassin est en partie responsable de beaucoup de dérapages de cette gouvernance.

Alors que les usagers domestiques abondent à plus de 80% les budgets des Agences de l’eau, leur représentation au sein de ce collège est quasi homéopathique.
La profession agricole, qui utilise 70% de la ressource et participe pour 2% à ce budget, est non seulement largement représentée dans ce collège, mais bénéficie aussi du soutien des élus ruraux, très majoritaires dans le Comité de bassin Adour-Garonne.

Cela empêche toute initiative pour traiter les problèmes de pollution à la source, pollution très présente dans le bassin pour les ostréiculteurs par exemple.
Cela conduit surtout à choisir presque systématiquement l’option barrages, non seulement pour satisfaire la profession agricole, mais aussi pour tenter d’atteindre « le bon état des eaux » exigé par la DCE en diluant la pollution dans un système de « chasse d’eau ».

Delphine Batho, consciente de ces problèmes, préparait une modification de la composition du collège des usagers des Comités de Bassin, au bénéfice des usagers domestiques et des associations environnementales (qui auraient représenté 50% de l’ensemble) et avait décidé un moratoire sur les retenues d’eau. On connaît la suite.

En l’absence de toute opposition, les Comités de Bassin (et leur bras armé que sont les Agences de l’eau), les élus départementaux siégeant dans ces instances et les sociétés d’économie mixte qu’ils dirigent en partie, (comme la CAGC* dans le Bassin Adour Garonne,) ont tout loisir de décider, sous la pressions des différents lobbies, agricoles en particulier, quelle politique de l’eau ils vont mettre en œuvre.
Tout se passe entre soi, et les conflits d’intérêt ou les petits arrangements entre amis, ne génèrent guère d’interrogations ni de problèmes dans ce petit monde feutré où le consensus est de mise.
Pas de réelle démocratie, aucune transparence, et quelque soit le mode de financement de ces ouvrages publics (agence de l’eau, département, région, Europe), toujours les mêmes qui payent : les usagers à travers leur factures et les contribuables.

Les dossiers sont complexes et les 4 représentants des associations familiales, (au titre des usagers domestiques), sont peu au fait de ces sujets et leur vote n’a aucune incidence.

Seules les associations environnementales portent la contestation, mais représentent si peu au sein des Comités de Bassin, que l’unique possibilité qu’elles aient de se faire entendre, est la contestation sur le terrain.
C’est exactement ce que faisait Rémi, écologiste de formation, bénévole à l’association « Nature Midi –Pyrénées » pour laquelle il étudiait la flore spécifique de la zone humide du Testet .

Mourir à 21 ans, pour avoir contesté le bien fondé d’une retenue d’eau, utile en définitive à une vingtaine d’agriculteurs pour irriguer des cultures de maïs semence peu compatibles avec le climat et la pluviométrie de cette région, est-ce digne d’un régime démocratique ?
Tout cela qui plus est, avec un gouvernement de gauche, dans un département dirigé par des Socialistes, dans une région elle même socialiste.

En réalité, et quelque soit la majorité en place, seule une toute petite oligarchie, décide pour des millions d’habitants, de l’avenir du bien le plus vital qui soit.

En d’autres temps (novembre 2010) vous avez vous même, en tant que Présidente de la Région Poitou-Charentes, saisi Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’écologie, sur les problèmes que représentaient la multiplication de ces retenues d’eau. Il n’y a pas un mot ni une virgule à changer à votre démonstration.
Maintenant, c’est vous qui êtes en charge de ce ministère et les questions que vous aviez soulevées alors, sont toujours d’actualité et se posent avec encore plus d’acuité.

Après la mort de Rémi, nous espérons que vous prendrez à bras le corps ce problème de manière globale et pertinente, telle que vous l’avez développée dans votre note de 2010.

Traiter ce sujet en le ramenant au seul barrage de Sivens, reviendrait à regarder le problème par le plus petit bout de la lorgnette.
C’est à une refonte complète de la gouvernance de l’eau qu’il faut s’attaquer, en particulier au niveau des bassins versant ; N’oublions pas que la construction d’une soixantaine de barrages est prévue dans le seul Bassin Adour Garonne !

Pour terminer, nous attirons votre attention sur une étude commanditée par l’Agence de l’eau, intitulée « Garonne 2050 », où le bureau d’étude présente à cette échéance, le Bassin comme une « pampa » et où la seule solution envisagée est la multiplication des retenues d’eau.
Si les bonnes décisions sont enfin prises, alors la mort de Rémi n’aura pas été aussi « stupide et bête » que ce que l’a si scandaleusement proclamé Thierry Carcenac, principal artisan de cette tragédie.

Nous vous prions, Madame la Ministre, d’accepter nos plus citoyennes et non moins respectueuses salutations.

Anne Bouzinac présidente de la Coordination-Eau-Adour Garonne.






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